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SVO : le bureau des Légendes

Jaguar a créé le SVO pour exploiter au mieux les mécaniques du groupe et pour réaliser les pièces uniques. Regardons de plus près ce dont est capable ce bureau chargé des véhicules spéciaux.

En 2008, un coup de théâtre s’annonce. Alors que la crise des subprimes débute, les difficultés financières se font très vite ressentir, en particulier sur le continent américain, à l’origine-même de cet état économique. Le groupe Ford et sa stratégie de « Ford premier » est contraint de vendre ses deux joyaux britanniques Aston Martin et Jaguar pour espérer survivre. Si la première est restée indépendante, non sans connaître quelques problèmes financiers, la deuxième marque est devenue la propriété de l’immense groupe indien Tata. Mais avant cette douloureuse séparation, la gamme Jaguar avait été revue en profondeur, avec le coupé XK, la berline XF et la limousine XJ. Mais c’est en 2011 que la marque annonce un nouveau chapitre…

Au Salon de Francfort de cette année, Jaguar présente le concept C-X16, un élégant coupé signé sous l’égide des frères Callum aux lignes fortement inspirées de la sublimissime Type E. Cette réinterprétation va loin, jusque dans l’ouverture du coffre, non pas vers le haut comme la plupart des voitures d’aujourd’hui, mais sur le côté. Et la marque d’annoncer une version de série d’ici 2 ans. Bingo, en 2013, la Jaguar F-Type est dévoilée, d’abord en version cabriolet. Elle reprend les lignes globales du concept. Sa nomenclature tranche avec le reste de la gamme afin de se rapprocher de son inspiratrice. Très vite, le coupé arrive, tout aussi réussi stylistiquement que le cabriolet. Au rayon des motorisations, le choix se fait entre un V6 3.0 de 340 ou 380 chevaux (en version S) et un V8 5.0 compresseur de 550 chevaux. Mais une version plus musclée pointe le bout de son nez en 2015. Son nom, F-Type Project 7. Un patronyme étrange qui pourrait cacher des raisons pourtant simples.

Sur le plan du style, la Project 7 se distingue de la F-Type cabriolet par la taille de son pare-brise, qui perd un peu moins de 10 cm, et l’arrivée d’un bosselage à l’arrière du siège conducteur. Cette apparition n’est pas sans rappeler la glorieuse Type D, victorieuse aux 24h du Mans 1955. Et c’est fait exprès, évidemment. Car le chiffre 7 désigne le nombre de victoires remportées par la firme britannique sur les terres sarthoises. Jaguar a en effet gagné le double tour d’horloge en 1951 et 1953 sur la Type C – première voiture à être équipée de freins à disque – en 1955, 1956 et 1957 avec la Type D et son aileron dorsal précédemment cité, ainsi qu’en 1988 et 1990 avec les prototypes nés grâce à Tom Walkinshaw. La Project 7 n’est-elle alors qu’un coup de pub ? Pas vraiment. La mécanique gagne 25 chevaux du V8 compresseur. Elle conserve toutefois son architecture de pure propulsion. Les changements sont-ils alors perceptibles par rapport à la F-Type R de 550 chevaux ? Un élément de réponse est allé à trouver du côté de la mise au point. Car ce ne sont pas les ingénieurs Jaguar « lambdas » qui ont travaillé sur la Project 7 mais ceux du SVO, du Special Vehicule Operation. Ou, en français, le bureau des opérations des véhicules spéciaux. Et c’est là que ça change. Parce que, lorsqu’une voiture n’est limitée qu’à 250 exemplaires et pas en série, les réglages châssis peuvent être plus raides afin de créer un côté inédit.

Le SVO s’est ensuite penché sur une F-Type plus « grand public », la SVR. Le R étant pour le mot Racing. Elle emprunte la configuration moteur de la Project 7 mais, afin de garantir une proposition différente, et l’exclusivité à la Project 7, elle l’associe à une transmission intégrale. Bien conscient qu’une Jaguar se doit de savoir drifter, la SVR n’autorise pas plus de 30% du couple aux roues avant. Sur le plan du design, la SVR ressemble à un mix entre la Project 7 et la R. Le bureau l’a avoué, il ne fallait pas dénaturer la ligne du coupé en le transformant en bête de course. Alors, les évolutions aérodynamiques se font en douceur. Quelques ouvertures par-ci par-là, un aileron mobile, des matériaux de bonne facture. Le tout pour une voiture de route. La puissance reste donc à 575 chevaux et le couple à 700nm, de quoi exécuter le 0 à 100 km/h en 3,6 secondes. La vitesse maximale : 322 km/h, soit un peu plus de 200 mph. Marketing ?

Jaguar F-Type SVR

En termes de vente, la route voit rouler un bon nombre, un très grand nombre de SUV. Et, pour ne pas se faire distancer par la concurrence, Jaguar a prêté son bureau à Land-Rover pour transformer son Range en parpaing supersonique. Le V8 de la F-Type R se retrouve sous le capot du SUV. On retrouvera la même formule dans le F-Pace de Jaguar quelques années plus tard. Même puissance, même folie mais avec une certaine retenue : il faut qu’il reste un SUV. Le SVO travaille aussi pour les autres marques du groupe, et notamment… Land Rover. Spécialisée dans les voitures à vocation tout-terrain, Land Rover s’oriente vers le luxe depuis le début des années 2000. Et pour s’installer en concurrent crédible à un Porsche Cayenne dynamique, il faut que la proposition anglaise le soit aussi, dynamique. Sous le capot du Land Rover Range Rover Sport, dans sa version SVR, nous retrouvons alors un V8 5.0 compresseur de… 550 chevaux. De quoi grimper aux arbres dans un sifflement aigu qu’émet le compresseur.  

Jaguar F-Pace SVR
Jaguar F-Pace SVR
Land Rover Range Rover SVR
Land Rover Range Rover SVR

Outre ces derniers travaux, Jaguar a également demandé aux Légendes de dévergonder sa berline XE. En effet, par rapport à ses rivales, elle souffre de ne pas avoir de déclinaison sportive, comme la M3 de BMW ou la C 63 AMG de Mercedes. Alors, la XE prend en muscles. Elle s’élargit, gagne en prestance, en charisme, en agressivité, et surtout en puissance. Sa face avant est totalement inédite et sa calandre trouée de la même manière qu’un morceau de gruyère. Pour quoi faire ? Pour refroidir le monstre qui sévit sous le capot. Un monstre de 5.0, un V8 compresseur qui pousse le curseur à 600 chevaux. SVO a eu le bon goût de les distribuer aux quatre roues. Les ailes élargies laissent présager un comportement dynamique au-delà de tout soupçon. A l’arrière, un aileron est intégré d’office. Mais, si vous trouvez que ça fait « tache », il est possible de le retirer en cochant l’option Touring. Toutefois, même sélectionnée, cette option ne fera pas réapparaître la banquette arrière. Car, dans sa quête du toujours plus fou, la XE perd sa banquette arrière pour laisser place à un arceau cage. De quoi permettre à la voiture d’annoncer un poids inférieur à 1800 kg.

Jaguar XE SV Project 8

Un rapport poids/puissance de 3 tous ronds, cela donne quoi en termes de performances ? Le 0 à 100 km/h n’est qu’une formalité, 3,7 secondes suffisent. Plus intéressant encore, son temps sur le circuit du Nurburgring. Là encore, elle a l’impression d’être dans son élément, et fait descendre le chrono à… 7’18’’361. Rapide, indéniablement. Et quel est son nom ? C’est là que le bât blesse. Elle se prénomme XE SV Project 8. Mais alors, pourquoi un tel nom ? La marque a-t-elle obtenu une nouvelle victoire au Mans ? Non, puisqu’elle n’y participe pas. Et donc, pourquoi ce nom ? La réponse la plus simple consisterait à dire qu’il s’agit du chiffre suivant le 7. J’ai, personnellement, une autre théorie. Le SVO ferait perdurer le mythe Jaguar, celui de la performance, les nouvelles SVO étant les héritières des Jaguar de course.

La Jaguar Type C utilise ce nom pour ne pas se perdre dans la gamme. Les XK, c’est pour la route, les Type pour la course. Ensuite, la Type D suit le même chemin. Car, après C (la troisième lettre de l’alphabet), le D arrive. Puis, déboule la Type E. Est-ce une voiture de course ? Elle a cette vocation, notamment avec sa version ultime Lightweight, mais n’en aura finalement pas les moyens. Le E est la cinquième lettre de l’alphabet. Puis, un blanc. Les Jaguar Type disparaissent et laissent place à des berlines placides, élégantes certes mais question sport… Les XK qui sortent alors ne sont que des copies d’Aston Martin contemporaines, la marque ailé étant propriété, elle aussi, de Ford et qu’il fallait diminuer les coûts au minimum. Plus de Jaguar Type quelque chose… jusqu’au rachat de Jaguar par Tata et le retour de la Type F. Le F étant la sixième lettre de l’alphabet. C’est à ce moment que mes spéculations arrivent. La Project 7 se veut être une réinterprétation moderne de la Type D (sur base de Type F qui est elle-même une réinterprétation de la Type E). La Type D qui était une voiture de course qui a mis à mal la concurrence. Et le SVO travaille pour transformer les Jaguar « normales » en monstres d’efficacité et de plaisir. Alors, le patronyme de la Project 7 n’est-il pas tiré de cette suite de l’alphabet ? Et donc celui de la XE SV Project 8 aussi. Après tout, cette dernière est avant tout pensée pour la piste, en témoigne l’arrivée du Pack Touring bien après la présentation de la variante du record du Nurburgring. Si la marque avait vraiment voulu tirer sur la corde sensible de l’historique en compétition, et particulièrement au Mans, elle aurait pu nommer la Project 7, Type G – et la XE SV Project 8, Type H – mais elle aurait sans doute perdu ses clients.

Perdre ses clients, un risque que la marque va prendre avec le virage de l’électrique que les gouvernements obligent les firmes automobiles à négocier. Jaguar l’a annoncé : plus de nouvelle voiture d’ici 2025, et un virage à 180° vers l’électrique. Elle se détournera du sport pour aller concurrencer les luxueuses Bentley et Rolls-Royce. Y perdra-t-elle des clients ? Assurément. De même, il en sera sans doute terminé du bureau SVO aux V8 tonitruants et aux performances décoiffantes. L’ambition est là, mais il reste une question : en a-t-elle les moyens ? Espérons-le, pour que Jaguar ne disparaisse pas.  

Par Iwen

Passionné d'automobile de toutes époques, je suis étudiant à l'ITM Graduate School au Mans, avec pour objectif de travailler dans le domaine de l'automobile.

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