Pour le comprendre, il faut remonter encore plus loin, avec l’arrivée d’un autre mot, celui qui nomme les déjà extrêmement performantes supercars. La première que l’on nomme ainsi c’est la Lamborghini Miura, sortie en 1966, dessinée par Bertone. Il s’agit de l’une des premières voitures au monde à placer son moteur en position centrale arrière, les Volkswagen, Alpine, plaçaient déjà leurs cylindres derrière leurs occupants, mais encore plus loin que la Miura, derrière les roues. On appelle ça la position en porte-à-faux arrière. Revenons à la Lamborghini. Son V12 faisait partie des moteurs les plus puissants du monde. Et ses performances étaient peu communes, incroyables. A minima, son moteur développait 350 chevaux, soit une puissance de véritable voiture de course.


Puis, les années passent et les autres marques annoncent leurs nouvelles sportives extrêmes limitées comme des supercars, Ferrari F40, Porsche 959… Et dans les années 90, ce terme est employé de plus en plus : Jaguar avec la XJ220, Ferrari avec la F50, Porsche 911 GT1, Mercedes CLK GTR, McLaren F1, j’en passe bien sûr, mais il y a aussi la Bugatti EB110, de Romano Artioli, un Italien soucieux de donner une nouvelle renommée à la marque d’Ettore Bugatti. Il veut en faire, comme toutes les autres marques précédemment citées, la voiture la plus rapide du monde. Il y met toutes ses économies, sans compter, et voilà l’EB110, forte de 560 chevaux tirés d’un V12 quadriturbo. Sa vitesse maximale : 350 km/h environ. C’est très bien, mais pas assez lorsqu’une McLaren F1 atteint les 391 km/h. Mais voilà, la marque fait faillite.
Mais Volkswagen, avec Ferdinand Piëch à sa tête, décide de créer la voiture de tous les superlatifs. Ils achètent pour cela la marque Bugatti. Les concept-car pullulent. D’abord, la première Bugatti de l’ère allemande devait être une concurrente des limousines du Royaume-Uni, Rolls-Royce et Bentley. Ainsi naissent des concepts de berlines au design très années 90, peu fluide mais extravagant. Vous ne pouvez pas passer inaperçu. 1998, Bentley est à vendre, et c’est Volkswagen qui en prend le contrôle. De l’année 1931 à la fin des années 90, les Bentley n’étaient que des Rolls-Royce de générations précédentes. De bonnes voitures, mais toujours un cran en-dessous des Rolls. Par conséquent, Bentley tient une solide place sur le segment des voitures de luxe, tandis que Bugatti, non. Dès lors, que faire de cette marque achetée pour cela ?


Leurs vient alors l’idée de créer la voiture la plus rapide du monde. Pas la plus agile mais la plus rapide en ligne droite. Ainsi naquit le concept de la Veyron. Et c’est en 2005 que la voiture n’est plus un concept mais une réalité, puisque le premier exemplaire sort de l’usine le 19 avril de cette année. Le cahier des charges était simple. Enfin. Simple dans les propos ; dans les faits, c’est une autre histoire. Il a chargé ses ingénieurs de créer une voiture de plus 1000 chevaux, capable d’accrocher les 400 km/h et de les dépasser, le tout dans un écrin de luxe. Pour cela, chez Bugatti, personne n’a chômé. Presque tout est nouveau dans cette voiture, nous le verrons plus tard. Le moteur, c’est du jamais vu.
Enfin, si mais pas dans cette configuration. Il ne compte pas moins de 16 cylindres, positionnés « en W ». W16 auxquels sont greffés 4 turbocompresseurs alors que cette technologie n’est encore qu’à son balbutiement. Alors qu’aujourd’hui la mode est au downsizing, et, que pour cela, l’on ajoute des turbos à tout va à tous nos moteurs, ici il cube 8.0 l. Pas très écologique tout ça. C’est d’ailleurs de ce moteur tout à fait particulier que son nom complet vient : Veyron 16.4, 16 cylindres – 4 turbos. Et à ceux qui disaient qu’il n’était pas possible de faire grimper la puissance à 1000 chevaux, les motoristes leurs rient au nez en annonçant 1001 chevaux. D’ailleurs, la marque a cru bon d’installer un compte-tour à gauche de celui de la vitesse la puissance développée par le moteur. Ainsi, lorsque le pilote appuie à fond sur l’accélérateur, il voit la flèche passer de la gauche à la droite en un rien de temps. Et pour desservir ce moteur impressionnant, il fallait une boîte de vitesses en adéquation : une boîte à double embrayage à 7 rapports, tandis que cette technologie n’est pas encore parfaite sur les meilleures Ferrari, elle se lie à merveille avec ce W16. D’ailleurs, l’ensemble moteur-boîte de vitesse pèse à lui seul presque 500 kg…


Revenons-en au moteur et aux performances qu’il annonce. La puissance ahurissante laisse toutes les autres supercars et supersportives précédentes sur le tapis. Le 0 à 100 km/h ne demande que 2,5 secondes à la Veyron, les 200 en 8,2, les 300 en 18,8. Est-elle dans les 10 ? Oui, elle met bel et bien moins de 10 secondes pour parcourir 400 m en départ-arrêté, 9,7 pour être exact. Et le plus important, c’est qu’elle signe son record, elle atteint même 408,45 km/h, c’est-à-dire le record pour une voiture de série. Enfin, de série…
Ah oui, il faut bien en arriver là. Son record est homologué pour une voiture de série, mais en fait elle est limitée à 450 exemplaires.

C’est peu, oui. Mais l’auriez-vous achetée si vous aviez eu l’argent ? Nous n’en avons pas encore parlé. Le douloureux retour à la réalité. C’est bien joli de vouloir rouler dans la voiture la plus puissante et la plus rapide, mais elle est aussi la plus chère du monde ! 1 million d’euros, sans option. Et je ne pense pas que Bugatti pouvait vous faire une offre de reprise si vous échangiez votre Renault Clio contre leur Veyron. Cette voiture, outre toutes ces incroyables caractéristiques, cache d’autres informations croustillantes.
D’abord, les pneus. Ils ont été développés en collaboration avec Michelin pour que la Veyron puisse-t-être utilisée tous les jours, tout en gardant à l’esprit qu’elle peut monter à 400 km/h. A chaque fois qu’un propriétaire atteint les 400 km/h – ce qui n’arrive déjà pas tous les jours – il doit changer ses pneus. Mais changer les pneus de sa Veyron et de sa Clio n’est pas exactement la même chose. Dans les actes, oui, mais dans les prix, je n’aimerais pas que mon garagiste se trompe entre la note réservée à Monsieur le PDG de je ne sais quelle entreprise fructueuse en chiffre d’affaires et la mienne : plusieurs dizaines de milliers d’euros…


Ensuite, pour atteindre les 400 km/h qui font tant rêver, il y a une opération à faire. En effet, à la livraison de sa Veyron, le client millionnaire, ou milliardaire, reçoit deux clefs. La première sert pour utiliser la voiture pour tous les jours, enfin, si l’on ne regarde pas la consommation. Mais à quoi sert la seconde clef ? Elle est faite pour atteindre la vitesse maximale. Pour mieux expliquer, la première clef permet d’atteindre la vitesse déjà ô combien respectable de 380 km/h, tandis que la seconde fait dépasser les 400. Est-ce vraiment utile ?
Autre bizarrerie, j’ai dit plus haut qu’elle ne partageait presque rien avec ses compatriotes. J’ai bien dit « presque ». Eh oui, puisque les poignées de porte extérieures proviennent… de la Golf 5. Mais, dès que vous ouvrez la porte, vous vous retrouvez dans l’un des habitacles les plus luxueux du monde, tout de cuir vêtu, et aucune tablette tactile imposante et immonde sur le tableau de bord. Ah ! La belle époque !


Dernière chose exceptionnelle dans cette voiture, le travail aérodynamique. La Veyron est l’une des premières voitures à bénéficier d’une aérodynamique active, dont l’aileron arrière témoigne.
La dénomination hypercar est arrivée avec la Veyron, puisqu’elle redessinait le paysage automobile, redistribuait les cartes de la performance. A l’époque, les puissances des plus grandes sportives s’établissaient à 500 chevaux pour les supersportives Ferrari, Porsche, Lamborghini, et plus de 600 pour les plus extrêmes. Mais jamais nous n’aurions pu penser que Bugatti allait jeter un aussi gros pavé dans la marre. Cependant, des rivales plus ou moins directes se sont avancées, Koenigsegg en première ligne. Après le record de la Veyron 16.4, la CCX la bat en frôlant les 415 km/h.


Blessés au moral, les ingénieurs allemands travaillent dur pour sortir plus de puissance de leur hypercar pour aller encore plus vite. La chose est faite avec celle nommée Bugatti Veyron Super Sport. 1200 chevaux, toujours issus du même moteur et 1500 nm de couple, soit 250 de plus que celle qu’elle remplace. Toujours autant de luxe, toujours aussi lourde, et toujours des records battus. La Super Sport propulse ses 2200 kg de 0 à 100 en 2,5 secondes, à 200 en 6,7, à 300 en 16,9. Ces performances, établies en 2010, ne sont égalées que depuis 2019 par de vraies voitures de série par les McLaren, Ferrari et autres. Mais ces marques ne la concurrencent pas en vitesse pure. La nouvelle Super Sport a atteint 432 km/h, faisant d’elle la voiture la plus rapide du monde. Par la suite, Hennessey a battu ce record avec la Venom GT, avec 435 km/h. Mais ça c’est une autre histoire.
Cela dit, la Bugatti Veyron, dans toutes ses déclinaisons, n’a pas été une réussite d’un point de vue des ventes. En effet, 450 exemplaires, c’est peu de voitures. Les premiers exemplaires se sont plutôt bien vendus, curiosité oblige. Mais par la suite, les Veyron peinaient à être commandées, et donc construites. Il y avait le choix entre le coupé et le cabriolet, nommé, à juste titre, Vitesse. Peut-être auraient-ils pu l’appeler Décoiffant ? En 2010, alors que la Veyron Super Sport sortait, il restait encore beaucoup de Veyron à construire. Alors comment ont-ils fait pour écouler le stock ?


Pour aider les derniers acheteurs à demander leur Veyron, ils ont créé d’innombrables séries spéciales. C’est bien simple : à chaque Salon de l’Automobile, Bugatti présentait une série spéciale. Et qui dit série spéciale, dit limitée, et dit donc chère. La Super Sport était déjà vendue 500.000€ de plus que la 16.4 originale, mais il fallait compter encore plus pour les versions uniques, à l’instar de la Veyron Or Blanc. Et c’est en 2015, soit 10 ans après le début de la production, que la dernière Veyron Super Sport est sortie des chaînes de montage, avec ce doux nom « Finale ». Choix judicieux. Est venue ensuite la Chiron, qui se vend tout aussi bien, quoiqu’un peu mieux.
Il y a un avant et après Jésus-Christ, il y a désormais un avant et après Bugatti Veyron. Tout était surdimensionné sur cette voiture. Mais elle n’a pas eu le sort qu’elle méritait. Aujourd’hui, elle est presque passé aux oubliettes, alors que c’est elle qui a tracé un nouveau chemin, celui de la performance ultime sans compromis. Après elle, de nombreuses marques ont voulu s’installer sur le segment de la sportivité en repoussant les lois de la physique. Celles qui ont le mieux réussi, à mon sens, ce sont celles de la Sainte Trinité, Ferrari LaFerrari, McLaren P1 et Porsche 918 Spyder qui ont, toutes les trois, instaurées de nouvelles règles du jeu, non pas sur la vitesse maximale, mais sur le plan des performances. Les Zenvo, Koenigsegg, SSC, Hennessey, j’en oublie évidemment, doivent beaucoup à cette première hypercar. Mais on ne sait pas vraiment donner de définition à ce terme.

Si l’on dit que les hypercar doivent dépasser les 1000 chevaux, alors la Sainte-Trinité déguerpit. Si l’on dit qu’elles doivent être limitées en nombre d’exemplaires, alors les éditions limitées de supersportives comme les 765LT sont des hypercars. Si l’on dit qu’elles doivent dépasser les 400 km/h, alors au revoir le trio. En somme, il est très difficile d’établir une définition du terme hypercar, si ce n’est que ce sont des voitures incroyables, qui repoussent tout ce qu’on pensait savoir auparavant, en termes de performances et de prix.
La bataille fait rage aujourd’hui pour savoir qu’elle sera la voiture la plus rapide du monde. A l’heure où j’écris ces lignes, il s’agit de la Bugatti Chiron SuperSport, avec 490,484 km/h. Koenigsegg, SSC et Hennessey veulent battre ce record. Mais le feront-ils vraiment ? Peut-être que la première à dépasser les 500 km/h de façon homologuée réussira à changer le monde autant que la Veyron en son temps ? C’est ce qu’on lui souhaite.