Nul ne sait quelle mouche a piqué Aston Martin, mais le virage pris par la firme de Gaydon depuis la dernière DB11, soit en 2016, est très, très serré et intéressant. Elle annonce sortir un modèle par an. En 2017, la Vantage est née, en 2018 la DBS Superleggera, en 2019 le SUV DBX. L’année 2020 devait être sous le signe de la Valhalla, avec James Bond. Une minuscule chose a tout chamboulé. Donc, pas de Valhalla. Mais, en 2018 Ferrari dévoile ses barquettes, les Monza SP1 et SP2, et l’année d’après McLaren l’Elva. Tentée, Aston Martin développe en vitesse la V12 Speedster. Ouf ! Le plan de sortie est respecté, puisque dévoilée en février 2020. Le temps passe, et nous l’attendons sans l’attendre. Puis, la révélation arrive.

La Valkyrie, attendue depuis sa présentation en 2017, a eu des petites sœurs, les AM-RB 002 et 003, vite renommées Valhalla et Vanquish. Vous l’aurez compris, le choix des noms a bien une symbolique ancestrale, Viking. Le Valhalla est en effet l’île où reposent les guerriers les plus valeureux après leur mort. Cette Aston se destine-t-elle à une élite qui ne doit pas manquer de courage ?
Il y a de fortes chances, oui. Et le style extérieur ne peut nier cette bestialité. Elle ne ressemble à aucune Aston Martin d’antan. Pourtant, elle conserve une aura spéciale. Les phares, en forme de goutte d’eau, tombent le long des arches de roues. La calandre si chère à Aston Martin est heureusement de la partie. Elle est très large, puisqu’elle prend presque toute la face avant. Les courbes ne sont pas aussi marquées que sur une Lamborghini. Les heures en soufflerie ont dû aider les équipes de design à façonner cette carrosserie qui ne compte presque pas d’arêtes franches. Presque, car l’extracteur d’air en sortie des roues avant a un design un peu torturé, mais qui cache une recherche aérodynamique poussée, extrêmement poussée. Les bas de caisse sont, eux aussi, complexes, mais ils reflètent toujours cette volonté d’un changement de visage de la marque : il y a les sublimes GT à moteur avant, et il y a la gamme à moteur arrière. Ces bas de caisse mènent à une entrée d’air béante de chaque côté de la voiture pour refroidir le moteur. Une entrée d’air est aussi façonnée sur le toit de la bête, preuve que le moteur a besoin de respirer, et d’être gaver d’air. La partie arrière est très agressive, avec ces sortes de branchies sur le capot moteur. Au-dessus de celui-ci, les pots d’échappement. Très en hauteur, il semble que la marque s’est inspirée des McLaren Senna et 600LT.
Enfin, la face arrière. L’aileron est bien intégré, le diffuseur n’a rien à envier à ses concurrentes tant il est imposant. Oui, la Valhalla est agressive, même à l’arrière, mais deux choses nous assurent qu’elle provient de Gaydon. Bien sûr, la première est la présence du logo et du nom de la marque en toutes lettres sur la partie arrière. Mais, surtout, ce qui montre la filiation avec les autres Aston est sa réalisation, notamment dans les détails de finition des feux. Absolument sublime. Comme il est de coutume chez Aston Martin désormais, ces derniers pourront être teintés, comme ici, ou en rouge. La Valhalla est donc différente. Elle n’est pas comme ces McLaren où la forme suit la fonction, où on essaie de mettre de belles courbes mais qui ne fonctionne pas beaucoup. Elle n’est pas comme ces Ferrari qui cherchent à tout prix à ressembler aux œuvres de Pininfarina lors de leurs beaux jours. Elle n’est pas comme ces Lamborghini aux lignes outrancières, tracées à la règle. Elle ne ressemble ni à une Aston ni à aucune autre de ses rivales, directes ou indirectes. Elle se suffit à elle-même, et cet air nouveau fait du bien. Pourtant, il vient d’Aston Martin, qui a une clientèle plutôt conservatrice. Le code a changé. Et, pour rentrer aussi, il y a du changement.
La portière n’est plus à ouverture classique mais en élytre, comme il est de coutume désormais chez les sportives de haut niveau, McLaren en tête. Nous ne disposons pas d’images de l’intérieur pour le moment, mais nous allons croire le dossier de presse sur parole. La marque affirme avoir travaillé sur un système multimédia innovant qui prendra sa place dans la Valhalla. Espérons alors qu’il sera ensuite conduit dans les prochaines GT. Le pédalier et le volant seront réglables, comme une voiture de course. La Valhalla disposera de deux places, mais le plus chanceux restera le conducteur. La voiture proposera les dernières technologies obligatoires, comme le régulateur adaptatif, le contrôle de trajectoire, etc. Tout un tas de gadgets dont on se passe totalement sur circuit. D’ailleurs, c’est son terrain de jeu favori, d’après la marque.
Le changement est radical. Pourtant, moi qui suis un fervent amateur d’Aston Martin, je trouve cette fraîcheur appréciable et suis impatient de voir ce que cela va donner. Lawrence Stroll ne tarit pas d’éloges concernant ses équipes, et est sûr que la Valhalla est une excellente voiture. En même temps, Aston n’a pas droit à l’erreur. Basée autour d’un châssis en fibre de carbone, elle bénéficie, bien entendu, des dernières connaissances accumulées en F1. Au départ, ce berceau de composites devait accueillir un V6 turbo maison. Mais la marque connut des retards, notamment à cause de la complexité du projet Valkyrie, alors ce moteur est mis au placard. Au lieu de cela, les motoristes ont repris le V8 4 litres AMG, déjà utilisé dans les Vantage et DB11, lui ont donné un petit coup de jus, pour lui octroyer pas moins de 750 chevaux, soit 20 équidés supplémentaires par rapport à l’AMG GT Black Series. Il s’agit alors du V8 le plus puissant jamais monté dans une Aston. Une première, certes, mais qui n’est pas la seule. Car la Valhalla est aussi une hybride. Avant de crier au désastre, il faut savoir que ce passage est presque obligatoire, puisque l’Union Européenne a signé la fin de la vente des moteurs thermiques pour 2035, et hésite encore pour le sort des hybrides, et que le Royaume-Uni veut dire au revoir aux gaz d’échappement d’ici 2030. Et puis, l’hybride n’est pas une si mauvaise chose, puisqu’il rajoute ici une louche de puissance. Presque rien : 204 chevaux. En cumulé, cela veut dire que la Valhalla dispose d’environ 950 chevaux. Et la valeur de couple est élevée, elle aussi, avec 1000 nm annoncés. Puisque la Valhalla est une Aston nouvelle génération, elle dispose de quatre roues motrices… Là, je commence à tiquer. Assurément, c’est fait pour la performance. Le système électrique s’occupe de gérer les roues avant, tandis que le thermique s’occupe des roues arrière. Lors de pertes d’adhérence, le train avant peut prendre le contrôle à plus forte échelle que le train arrière, et inversement. Les roues arrière peuvent même, par moment, être les seules à mouvoir la voiture. Un travail d’équipe donc. Mais les 204 chevaux utilisés par deux moteurs électriques peuvent se la jouer solo. Une première, encore. Et le pire, c’est que ça en fait… une traction. Aïe. Pour nous rassurer, Aston admet que la Valhalla ne peut se mouvoir sans son seulement durant 15 kilomètres selon les dernières normes, et peut atteindre jusqu’à 130 km/h. Nul doute qu’en roulant à cette vitesse, l’autonomie chute. Passés ces kilomètres en sourdine, le moteur thermique jalouse et se met alors en route. Comme pour toutes les hybrides, les performances sont meilleures quand les moteurs travaillent ensemble. Une fois qu’elle a attelée ses 950 chevaux et que les 1000 nm sont prêts à intervenir via la boîte de vitesses DCT sur-mesure pour elle, la Valhalla peut signer le 0 à 100 km/h en 2,5 secondes, le meilleur temps pour une Aston Martin de route. Epoustouflant. La vitesse maximale est fixée à environ 330 km/h. La Valhalla est la première Aston à avoir des prétentions sur circuit et à les assumer clairement. Le circuit, le seul endroit où l’on peut accélérer sans avoir peur d’un gendarme, couché ou debout. C’est pourquoi elle génère, à 250 km/h, une force d’appui de l’ordre de 600 kg grâce à l’ensemble des éléments aérodynamiques dont elle dispose. Une valeur impressionnante quand on sait qu’une McLaren Senna, faite pour le circuit et homologuée dieu sait comment, annonce 800 kg à la même vitesse. Et la Valhalla a un objectif. Elle veut signer un record. Pas le record de vitesse de pointe, trop élevée aujourd’hui, mais celui du Nurburgring. L’Enfer Vert est le circuit le plus difficile du monde. Aston Martin ne communique presque jamais sur ses chronos sur les circuits, mais souhaite emmener la Valhalla sur cette boucle plus qu’exigeante avec un objectif clair : battre le meilleur temps. Actuellement, le record pour une voiture de route est détenu par la Porsche 911 Type 992 GT2 RS, avec 6’38’’5. Aston revendique pouvoir tourner en 6’30. Hâte de voir ça. En attendant, laissons le temps aux ingénieurs de la peaufiner, de la régler au millième de millimètres. Car, pour l’instant, elle n’est pas entièrement prête. Il leur faut encore travailler, notamment sur le poids, qui n’est qu’un objectif, environ 1550 kg. Plutôt léger pour une Aston, comme pour une hybride, mais qui reste tout de même 52 kg plus lourd qu’une Artura compatriote…
Un vent nouveau souffle sur Gaydon. Un souffle nouveau qui vante les mérites des ingénieurs et pas seulement ceux des designers. Terminée la gamme vieillissante même si sublimissime. Bonjour désormais aux nouveautés, aux sculptures roulantes mais également sportives, très sportives. La dernière Vantage avait déjà impressionné les journalistes automobiles, mais la Valhalla risque d’en remettre une couche, en attendant aussi les potentiels essais de la Valkyrie. Attendons. Patientons. L’excitation, elle, ne descendra pas.
Valhalla, contre quoi ? L’hybridation forcée des voitures de sport redistribue les cartes du jeu des performances et de la sportivité. Aston Martin rejoint alors ce club select des supercars de série alliant la motorisation thermique à l’électrique. Sur le papier, la nouvelle Valhalla trouve une concurrente de taille, la Ferrari SF90 Stradale. L’Italienne revendique 1000 chevaux, 50 de plus que la Britannique, pour une masse de 1570 kg à sec. L’Aston serait donc plus légère d’une vingtaine de kilogrammes. Les départager sur la puissance ou le poids ne suffira pas. Le 0 à 100 km/h peut-être ? Non plus, atomisé en 2,5 secondes dans les deux cas. Accordons le point de l’originalité à l’Aston Martin.
Enfin, il reste un juge de paix : le circuit. Pour rappel, Aston souhaite envoyer la Valhalla sur le Nurbürgring pour y battre le record du tour. Soit. Autre fait intéressant, Ferrari semble être de plus en plus tentée par la Nordschleiffe, et compterait envoyer la SF90 Stradale, puisque c’est elle qui détient le record sur le circuit maison, celui de Fiorano. Alors, qui gagnera ? Faites vos jeux !