
Fraîchement diplômé de l’université de Yale, Kevin Czinger veut changer le monde, ou plutôt la façon dont nous consommons. Notamment l’énergie et le transport. L’année suivante, en 2008, il fonde Coda Automotive, une société se voulant à la pointe de la technologie. Elle avait pour but de proposer à la vente une simple berline électrique, en vue de remplacer les voitures thermiques jugées trop polluantes. M. Czinger voit les ravages que fait la production d’une automobile, trop polluant à son goût. Une idée germe alors dans sa tête : fabriquer une voiture plus respectueuse de l’environnement. Mais ce ne sera pas pour tout de suite. D’abord, une autre société en parallèle s’ouvre, Coda Energy, qui assemble les batteries des véhicules de la marque automobile. Elle n’aura le temps de sortir qu’un seul et unique modèle, la Coda EV, à 117 exemplaires. La société est revendue à la société Mullen Technologies, qui assemble aujourd’hui encore la voiture à un prix inférieur à 10.000$.

Sa société proche de la faillite, Kevin Czinger se lance dans un autre projet ambitieux et futuriste. De toutes pièces, il monte la société Divergent 3D en 2013. Elle se spécialise dans l’univers de l’impression 3D, alors à ses balbutiements à l’époque. Mais, dans ce secteur, des progrès ont lieu chaque jour. Plus rapide, plus solide, plus fiable, les réalisations sont de plus en plus qualitatives. M. Czinger se spécialise dans cet environnement. Son fils est aussi intéressé. Lukas Czinger est diplômé de Yale et d’Harvard, a réalisé plusieurs stages dans des sociétés de fonds d’investissement, il est curieux. Il entre chez Divergent 3D par la petite porte à la fin de ses études en 2017 en tant que « simple » ingénieur junior. Il grimpe vite les échelons, et entend les idées de son père pour une voiture. Les deux hommes se mettent d’accord pour créer une voiture ultime dont la production doit être la plus vertueuse possible. Le père sera le PDG, le fils responsable du marketing, du bon déroulement de la vente, de la fabrication, du développement de l’entreprise, et sera membre du conseil de la société. Intéressé, le fils Czinger est à l’origine de dépôt de 44 brevets en faveur de la future supercar familiale.

Mais il faut trouver d’autres partenaires pour se lancer dans une telle aventure sans tomber. C’est pourquoi Kevin Czinger rend visite à Ewan Baldry, qui devient l’ingénieur en chef de la marque. Peut-être inconnu du grand public, il n’en est pas moins expérimenté. Il a passé quelques années dans le groupe Rolls-Royce – Bentley, s’est retrouvé en Formule 1 dans l’écurie de Franck Williams, et a réalisé en 2018 son rêve : participer aux 24h du Mans, en tant qu’ingénieur en chef. Des deux Ginetta G60-LT-P1 qui ont pris le départ, une seule terminera la course, à la dernière place. L’Endurance et ses dieux… Pour le dessin de la voiture, la tâche reviendra à David O’Connell. Ce dernier a fait ses armes au sein de marques généralistes, Peugeot et Mitsubishi pendant 25 ans, mais il y a dessiné des concept cars, qui sont sources de recherche d’inventivité, d’innovation. Le concept de la supercar Czinger est sorti de son imagination très rapidement, en 2017, très excité par ce projet où il ne partait de rien et avait une liberté ultime.

Désormais associés, collaborateurs de la firme Czinger Automotive, il faut proposer une voiture roulante. La première version est dévoilée à des clients privilégiés à Pebble Beach en 2019, mais le grand public ne la connaîtra que bien plus tard, lors du salon de Genève de l’année suivante qui n’aura pas lieu. L’ambition est grande, et les moyens aussi. Deux noms étaient en tête d’affiche, soit Blade, lame en français, qui n’a pas été retenu. Soit 21C, pour 21th Century. Derrière ce nom cache l’ambition de la marque : créer la voiture la plus innovante, celle qui va changer le monde, qui va marquer le 21ème siècle. Rien que ça. Des promesses, c’est bien, mais quels sont les moyens pour y parvenir ?

O’Connell s’est inspiré du monde de l’aviation pour dessiner une voiture sans concessions : la performance avant tout. Il s’avoue s’être grandement inspiré de l’avion Air-Breathing, l’avion habité le plus rapide, ainsi que le Lockheed SR-71 Blackbird, capable d’atteindre Mach 3.3, soit 4074 km/h. Cette inspiration d’avions de chasse, hypersonique, a donné l’idée de changer la disposition des sièges. Le pilote est au centre de l’habitacle, et le passager derrière le siège conducteur, comme dans un avion de chasse. Et comme, plus récemment, dans la Delage D12. Cette disposition permet de mieux gérer le flux d’air, de mieux se servir de cette force tantôt contraignante, tantôt indispensable. D’un point de vue ingénierie, la marque innove en utilisant un système de production Human-AI, humain-intelligence artificielle. Ah… l’intelligence artificielle… Ce qui n’est pas artificiel, c’est le moteur. Ou plutôt, les moteurs. Dans l’ère du temps, la Czinger 21C est une hybride non rechargeable. A l’arrière, on retrouve un tout petit V8 2,88 litres à vilebrequin plat et biturbo. Une telle cylindrée est propice aux montées en régime fulgurantes, à une inertie totalement absente, mais question confort d’utilisation…

La marque assure qu’il s’agit-là d’un moteur totalement nouveau, fait maison. Seules les culasses sont en provenance d’une autre société bien connue : Kawasaki. La puissance que sort ce petit V8 est de l’ordre de 950 chevaux. Mais si vous avez suivi, il s’agit d’une hybride. Chaque roue avant reçoit un moteur électrique, relié à une batterie 800V. Non rechargeable, l’énergie que peuvent recevoir les roues est collectée via les transferts de masse lors des freinages, ainsi que par un engrenage directement relié au moteur pour régénérer la batterie. Quand elles sont rechargées, la puissance totale de la supercar atteint 1250, voire 1350 chevaux avec quelques améliorations par-ci par-là. Et comme si ça ne suffisait pas, le poids n’est pas en reste, avec une bascule qui annonce seulement 1250 kg à sec. Pour servir le moteur, la boîte de vitesses est en provenance de l’équipementier Xtrac. Embrayage multidisque et 7 rapports sont au programme.
Jusqu’ici, vous en conviendrez, il n’y a rien de très innovant. Il ne s’agit que d’une énième nouvelle supercar. Jetons d’abord un œil à ses performances, et nous verrons ensuite en quoi elle est innovante.

Le 0 à 100 km/h n’est qu’une formalité annoncée en 1,9 secondes. Le 0 à 200 n’est pas communiqué, mais les 300 sont accrochés 8,5 secondes après l’arrêt, puis les 400 km/h 12,8 secondes plus tard. La vitesse de pointe serait de 405 km/h dans le meilleur des cas. Le freinage n’est pas en reste, avec un système carbone-céramique avant et arrière. A l’avant, les disques de freins de 410mm comptent 6 pistons, quand à l’arrière, ce sont des galettes de 380mm à 4 pistons. De quoi réaliser le 100 à 0 sur une distance de seulement 30,5 mètres. Autres performances en vogue en ce moment, l’accélération puis le freinage en un temps record. Le 0-300-0 serait réalisé en 13,8 secondes, il faudrait donc 5,3 secondes pour s’arrêter ? Le 0-400-0 serait réalisé en 27,1 secondes, soit seulement 5,8 secondes pour s’arrêter. En comparaison, la Koenigsegg Regera a mis 8,62 secondes pour atteindre l’arrêt complet pour signer le record de 0-400-0 en 31,49 secondes. Même si je doute de ces annonces d’accélérations pures et de freinages dantesques, les chiffres sont là. La 21C a tourné sur deux circuits américains et a signé autant de records pour une voiture de série.

Sur le Laguna Seca, le chronomètre s’est arrêté à 1’25’’45, soit deux secondes de mieux qu’une McLaren Senna, déjà très rapide. Sur le Circuit des Amériques, elle signe un temps de 2’11’’33, soit six secondes de mieux qu’une autre McLaren, la plus âgée P1. Il faut mettre ça sur le compte également du travail aérodynamique absolument phénoménal. Avec cette carrosserie unique, l’air se fraye une place très facilement. La forme suit la fonction, et cette fonction est celle d’un appui maximal. Ainsi, à 161 km/h, la voiture encaisse déjà 638 kg d’appui. Quand à 322 km/h, ce sont 2552 kg d’appui qui plaquent la voiture au sol. Est-ce utile d’avoir autant d’appui ? C’est impressionnant, cela force le respect. Mais la froideur des chiffres ne peut remplacer les sensations au volant, et pour cela il va falloir attendre…

Révolutionnaire disais-je. Oui, la Czinger 21C est différente, innovante, avec un design… qui lui est propre. Elle ne ressemble à rien… d’autre en automobile. En termes d’innovations, la 21C annonce la couleur avec une technologie dont Lukas Czinger est fier, celle d’un assemblage automatique sans fixation. En d’autres termes, il a réussi à assembler un châssis avec moins de fixation que les autres châssis existants. Cela abaisse le poids, et améliore encore les performances. Là où la 21C est intelligente, et pas artificiellement, c’est qu’elle pense à l’avenir, et notamment à l’utilisation que les propriétaires vont en avoir. Il est possible qu’elle ait un accident. Ce n’est pas souhaitable, mais c’est une possibilité. Grâce à son autre entreprise Divergent 3D, Czinger fait massivement appel à l’impression 3D pour réaliser sa voiture. Ainsi, si toutes les autres marques automobiles qui fabriquent leurs voitures avec de la fibre de carbone, doivent refaire toute la voiture quand elle est endommagée, grâce à l’intelligence artificielle et l’impression 3D, il sera possible de refaire la pièce à l’identique. Entre autres innovations.

Concernant la vente, Czinger a, là aussi, fait appel à un grand professionnel. William Collick a toujours côtoyé l’exception automobile. En 2007, il a aidé au lancement de l’Audi R8 sur le marché américain. Puis, à son compte, il a vendu des Lamborghini, Ferrari, Aston Martin et bien d’autres carrosseries exquises. En 2013, lorsque Pagani sort son nouveau modèle, la Huayra, elle est homologuée pour rouler aux Etats-Unis (ce n’était pas le cas pour la Zonda). L’officine avait donc besoin d’un distributeur sur le sol américain, qu’elle a trouvé en l’homme de William Collick. Les Huayra coupé, Huayra BC et Huayra Roadster trouveront vite preneur avec ce spécialiste au portefeuille de clients assez développé. Aujourd’hui, la 21C est proposée dans 12 sites à travers le monde dont 3 en Europe pour écouler les 80 exemplaires.
Pour son futur, Czinger envisage de lancer un prochain modèle d’ici la fin de l’année, avec deux fois plus de places, plus d’exemplaires assemblés, mais pas à une trop grande échelle.
Czinger vit son rêve. Je mentirais si je disais que la 21C ne m’intéresse pas. Je suis très curieux de ce qu’elle propose, mais sa carrosserie ne me fait nullement rêver, ses performances me laissent coi et dubitatif. Elle est innovante, mais payer près de 2 millions d’euros une telle voiture, une Américaine dont on ne sait rien, jusque dans sa fiabilité…

Sources : netcarshow.com ; caranddriver.com ; divergent3d.com